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INTRODUCTION
Le luxe est un domaine obscur, controversé mais surtout pluriel. Selon Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, auteurs du livre Luxe oblige, «avant d’être un métier ou un marché, le luxe est d’abord une culture, qu’il faut bien comprendre pour la mettre en pratique avec talent, spontanéité et succès ».
Pour Danielle Allérès, à l'origine du DESS Gestion des métiers du luxe, de la mode et de l'art et auteur notamment de Marques de luxe : significations et contenus, le luxe « est un objet de service de très grande qualité, limité dans sa distribution et dont la communication, peu abondante, est sélective. Il est synonyme d'émotion. L'imaginaire et la symbolique de la marque participent à la définition même du luxe ». Selon elle, trois niveaux de luxe coexisteraient : le luxe inaccessible caractérisé par les comportements d’achats d’une classe nantie, le luxe intermédiaire visant les ambitions d’une classe de fait, intermédiaire, et le luxe accessible reposant sur le mimétisme de la classe moyenne.
Il n’existe donc pas une unique définition du luxe qui reste un concept subjectif évoluant au gré des carrières et recherches des professionnels du secteur. Partant, face à cette panique sémantique où même les experts ne parviennent pas à s’accorder, nous avons tenté d’en dessiner les contours. Selon nous, le luxe est synonyme de rareté, d’intemporalité, d’exclusivité, et de savoir-faire incontestable. Il ne répond pas un besoin mais crée du désir. Parfois jugé superficiel ou inutile, il peut également être synonyme de bien être, de qualité ou encore de tradition, et a pour objectif de satisfaire l’envie des clients de consommer une part de rêve. Son étymologie reste donc source de contradiction entre l’être et le paraître, et diffère selon les langues. Elle proviendrait du latin «lux» se traduisant par la lumière, dérivé du mot «luxus» associé à la débauche ou encore à l'excès dans la manière de vivre.
Il ressort que le luxe touche tous les êtres humains et tous les secteurs, de la mode à l’hôtellerie en passant par la joaillerie et les cosmétiques. Dans cette étude, nous aborderons aussi bien une approche catégorielle du luxe des biens ou services, qui nous permettent de quantifier et d’étudier la crise économique, qu’une approche plus globale sur les valeurs du luxe ; les deux nous semblant indissociables face à la crise que nous traversons.
Enfin, nous appuierons bien entendu notre réflexion sur les entreprises et groupes de luxe comme LVMH, Kering ou encore Chanel pour ne citer qu’eux, qui sont des références en la matière de par leur vision claire de cette industrie et de ses valeurs.
Historiquement, le luxe remonte aux origines de l'humanité. À l'échelle du temps préhistorique, il apparut capital d'enterrer les corps accompagnés d'objets ou de nourriture, leur permettant de vivre décemment après leur mort. Et plus on avançait dans le temps, plus ces objets se voulaient distinctifs et raffinés : des bijoux et autres signes permettant de préciser un rang ou quelconque pouvoir. Il existait ainsi, et ce, dès l'aube de l'humanité, des groupes sociaux, des modes de vie ou encore des signes réservés exclusivement à certains individus socialement dominants. C'est donc bien à travers ces différentes découvertes que se retrace l'origine du luxe.
L'industrie du luxe est donc à la croisée de l'art, de la culture et de la science. Et même si nous fixons au luxe une date de naissance différente, tout le monde s'accorde à dire ce dernier est né en France, faisant dès lors partie intégrante de la culture et du patrimoine français. Parallèlement, son rayonnement international lui confère un atout de croissance phénoménal : il représentait 1 300 milliards d’euros en 2019, et sa valeur du marché global pourrait s’élever à 1,3 trillion d'euros en 2025. Ces chiffres sont d’autant plus symboliques que le luxe fut impacté par les différents crises économiques de l'histoire et en est ressorti grandi ou du moins, différent.
La grande dépression de 1929 a rendu le luxe plus accessible, le choc pétrolier en 1973 a changé les mœurs et les comportements d'achats avec l'émergence des consommations bios et responsables. En 2001, les attentats du 11 septembre ont paralysé la consommation au sens large, celle du luxe compris, et l'économie a ralenti de façon spectaculaire avec la chute du tourisme et des voyages. Pour autant, deux mois après cette tragédie, nous assistions à un rebond spectaculaire avec une reprise en puissance d'une consommation à forte tendance hédoniste. L'épidémie du SRAS a également eu un impact à court terme sur le secteur mais très rapidement, les chiffres sont repartis à la hausse. La crise financière de 2008 a permis un retour à une consommation moins ostentatoire et aux valeurs d'héritage et de savoir-faire par les Maisons. Parallèlement, le luxe devient un secteur profitable, une "valeur refuge", une source d'investissement. Enfin, il y a neuf ans, Fukushima fut la crise contemporaine du boom du marché asiatique du luxe. Une attention particulière a été accordée à l'origine et à la composition des produits ainsi qu'aux offres plus "responsables". Et des acteurs majeurs du luxe comme Louis Vuitton ou encore Shiseido se sont engagés activement pour venir en aide aux victimes du séisme.
En novembre dernier se déclare la maladie du coronavirus, désormais communément appelée «Covid-19», qui se propage progressivement dans plus de 200 pays. Cette pandémie entraîne de lourdes mesures de confinement à travers le monde, la fermeture des frontières de plusieurs pays, ainsi que le plus important krach boursier de l'histoire lié aux craintes qui pèsent sur l'économie mondiale. Cette crise économique, sanitaire, sociale et vraisemblablement morale incite le secteur du luxe mais également la consommation au sens large à se redéfinir.
De prime abord, il semble en résulter des similitudes avec les anciennes crises : une prise de conscience, une modification des comportements d'achat, un retour à l'essentiel avec l’émergence des considérations éthiques et écologiques. «Comme lors de chacune des précédentes crises, la question de l’avenir du luxe est posée par les analystes, les moralistes, les critiques qui prédisent systématiquement la fin du luxe» déplore Jean-Noël Kapferer, alors même que cette industrie est une des plus résiliantes face à la conjecture. Les ventes connaissent une diminution notable mais repartent aussitôt à la hausse dès que les premiers signes d'optimismes apparaissent. Force est de constater que le luxe reste donc un secteur résilient, voire sur-réactif, et même renforcé face aux crises. Mais la dernière en date semble différente. Elle intervient alors que nous assistons depuis quelques années déjà à une évolution des mentalités, un glissement vers une consommation plus éthique et responsable, et une montée en puissance du digital. Le confinement entraînant la fermeture des magasins physiques et une chute du pouvoir d’achat avec l’explosion du chômage, le luxe est l'un des premiers secteurs le plus impacté.
Partant, il est intéressant de se demander quels sont les défis engendrés par le Covid-19 que rencontre l’industrie du luxe qui, entre rupture ou accélération de changements amorcés, doit s’adapter sans visibilité sur les mois, si ce n’est années, à venir.
L'arrêt brutal de l’activité n’a en effet pas épargné cette industrie qui s’est retrouvée affaiblie. Un état des lieux de la situation et des perspectives à venir (Partie I) sont donc nécessaires pour comprendre les stratégies adoptées par les marques de luxe afin de limiter l’impact de cette crise (Partie II). D’autant que celles-ci s’avèrent être différentes de celles employées face aux crises précédentes dans la mesure où une nouvelle ère semble s’ouvrir. Entre évolution des mentalités et recherche de quête de sens, le luxe n’a d’autres choix que d’évoluer ou d’accélérer les changements déjà entrepris (Partie III).
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