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3. Quelles prévisions pour la suite ?
Nous savons aujourd’hui que l’industrie du luxe a accusé au premier semestre 2020 des pertes importantes et en subira encore certainement au second. Mais à moyen et plus long terme, à quel avenir ce secteur va-t-il être confronté ?
Selon une étude du Cabinet Bain and Company, les fermetures de boutiques en Chine, puis en Europe et aux États-Unis, ont provoqué un recul des ventes dans le secteur du luxe d’environ 40 % au premier semestre. Thomas Chauvet, analyste financier responsable de la couverture du luxe chez City group estime que sur le second semestre, « les baisses devaient être moindres : entre – 10 et – 15%, avec une amélioration séquentielle entre le troisième et le quatrième trimestre. Donc, sur l’ensemble de l’année, nous prévoyons un recul global de 20 à 25%, avec une forte pression sur la profitabilité. » Depuis le 11 mai 2020, les boutiques ont réouvert en Europe et devraient, a priori, le rester au troisième trimestre. Pour autant, la baisse de confiance des consommateurs additionnée à l’effondrement du tourisme ne permettent pas de prévoir une reprise normale de l’activité. Ainsi, seuls certains marchés dont la Chine, devraient avoir une croissance positive au troisième trimestre.
L’industrie du luxe est également plus dépendante du tourisme qu’il y a dix ans. Aujourd’hui, les grands magasins de luxe se languissent de leur clientèle internationale durant cette période estivale. Et pour cause, les touristes consomment de plus en plus dans leur marché domestique au vu de leurs voyages limités voire interdits au sein de l’Union Européenne. Or en 2019, ce sont plus de 50 millions de touristes qui sont venus visiter en France, et confirmés ainsi leur affection pour les boutiques parisiennes avec plus de 22 milliards d’euros dépensés. La clientèle asiatique et notamment chinoise, en tête des consommateurs du luxe (51 %) représentait alors un tiers du chiffre d’affaires des magasins parisiens. C’est pourquoi, les différents scénarios de reprise de la demande de luxe en 2021 dépendent beaucoup de l’évolution de la reprise du tourisme mondial, notamment intra-Asie et vers l’Europe et pour lesquels les analystes financiers semblent plutôt pessimistes. Mais cette faiblesse du tourisme devrait être, pour une partie, compensée par le rapatriement de la demande touristique vers les marchés locaux.
Par ailleurs, cette tendance « moins de demande touristique, plus de demande locale » induit la question de la taille optimale des réseaux de distribution. À moyen terme, il est fort à parier qu’un nombre important de boutiques dans les destinations prisées des touristes chinois ferment. Les marques devront alors miser sur la qualité de leur réseau de distribution à destination de leur clientèle locale et la tendance du e-commerce devrait poursuivre son accélération.
Enfin, une des conséquences directes de la réduction du trafic aérien, et donc des déplacements d’acheteurs potentiels, est le désir du virtuel de plus en plus présent. La légitimité des salons et des Fashions Weeks est de plus en plus remise en cause. Les prévisions pour ce deuxième semestre devraient donc être en accord avec une évolution éco-responsable de l’industrie. Certains acteurs comme Kering ou Burberry ont d’ailleurs mis l’environnement et la «sustainability’» au cœur de leur stratégie. Dans la mode, il est fort probable que naisse l’envie de freiner ce consumérisme excessif dont l’impact est négatif pour la planète. Le rythme de production devrait ralentir, les collections se désaisonnaliser, et le cycle produit s’allonger avec l’essor des plateformes de revente. « Moins de frénésie et potentiellement une meilleure gestion des coûts et des risques. La mode doit se réinventer et devenir plus responsable » précise Thomas Chauvet.
Le 2 avril 2020 s’est tenu un séminaire en ligne spécial de l’IMD portant sur l’importance de la crise du Covid-19 pour les industries du luxe. Il en est ressorti que « l’incertitude, mais aussi l’optimisme caractérisaient le mieux l’ambiance du secteur ». Cet optimisme n’est pas vain et laisse ainsi entrevoir des possibilités d’innovation, d’accélération et de gain de productivité alors même que l’incertitude économique et le manque de visibilité persistent. Cette période difficile ne serait donc finalement pas une opportunité d’évoluer ?
Extrait de l’interview d’Erwan Rambourg
Auteur de l'ouvrage : Why the Reign of Chinese Luxury Shoppers Has Only Just Begun