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1. Le tumulte de la crise au premier trimestre
« Le marché du luxe affiche une insolente santé » titrait Le Monde en novembre 2019. En 2018, le marché mondial des produits de luxe était évalué à 230 milliards d’euros, soit une croissance de 6% par rapport à l’année précédente. La dernière édition de l’étude Bain & Company, en collaboration avec la Fondation Altagamma, précisait que le secteur aurait atteint 1 300 milliards d’euros et fédéré 390 millions de clients en 2019, générant ainsi une croissance de +4%. Qui aurait alors pu imaginer que quelques mois plus tard, ce marché à la santé insolente et toujours plus résilient face à la conjoncture, traverserait une crise sans précédent induite par l’épidémie du coronavirus ?
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Fin novembre 2019, le premier cas de Covid-19 était détecté à Wuhan. Le virus s’est ensuite très rapidement propagé dans le monde. Le 22 janvier 2020, le gouvernement chinois plaçait sous quarantaine trois villes de la province de Hubei afin de contenir les risques de pandémie. Deux mois plus tard, ce sont les pays européens et les États-Unis qui fermaient tour à tour leurs frontières, écoles et restaurants. Les boutiques physiques n’ont pas échappé à la règle et ont également été contraintes de fermer leurs portes alors qu’elles représentent près de 90% des transactions pour l'industrie du luxe. Une période de confinement commence et ce, pour une durée alors indéterminée. Le secteur du luxe s’est ainsi retrouvé, comme tous les autres, à l’arrêt au premier trimestre 2020. Face à cette situation historique, il a fallu s’adapter rapidement, sans aucune visibilité.
Dès les premières semaines, de nombreuses Maisons de luxe réallouent leurs outils de production à la fabrication de gels hydroalcooliques, masques et sur-blouses. Rapidement, les principaux acteurs décident également d’apporter un soutien financier aux services de santé et à leurs salariés, alors même que leurs chiffres d’affaires sont en baisse. Le nombre de chômeurs enregistré en mars dernier faisait en effet état d'une hausse historique, induisant inévitablement une chute du pouvoir d’achat des individus, issus de toutes classes sociales et pays confondus. D’autant qu’en cette période d'exacerbation des préoccupations financières et médicales, la pandémie réoriente les priorités des consommateurs vers des produits de premières nécessités au détriment d’achats de luxe.
Ce secteur est également confronté à l'arrêt du transport aérien entraînant la paralysie du «Travel Retail», activité favorite des voyageurs aéroportuaires estimée à 109 milliards de dollars pour 2025. Cet effondrement des flux touristiques démontre alors l'incapacité des Maisons à sécuriser leurs circuits de logistique et de capitaliser sur leurs clients internationaux.
Malgré l'arrêt de l'activité, le secteur est de loin un de ceux qui en souffrent le moins. Si 86% des individus sont soucieux de la façon dont les entreprises doivent protéger le bien-être et la sécurité financière de leurs employés et de leurs fournisseurs, certains acteurs ont su agir dans ce sens pour préserver leurs salariés malgré ce début de crise. La Maison Chanel annonce ainsi qu’elle n’aura pas recours aux deniers publics et qu’elle maintiendra à 100 % les salaires de ses 8 500 employés en France « pendant 40 jours ouvrables, pour une période de 8 semaines, du 16 mars au 8 mai ». «Cette décision relève de notre plan de solidarité responsable car l’État français va avoir d’autres priorités. Il lui faudra venir au secours d’entreprises en difficultés » explique Bruno Pavlovsky, président de Chanel SAS. Cette décision est prise, bien que renoncer au recours au chômage partiel pour une durée de deux mois, alors même que les ventes sont en baisse, implique des conséquences financières de « plusieurs dizaines de millions d’euros ». Et Chanel n’est pas un cas isolé. Hermès notamment, a également annoncé que la Maison n’aura pas non plus recours aux aides de l’État et s’est engagée à maintenir le salaire de ses 15 5000 collaborateurs en France et dans le monde.
Mais bien que ces mesures puissent donner l’impression que le secteur peut survivre à la crise économique, ce dernier n’en est pas moins épargné. Fin mars, l’industrie du luxe présente les résultats de ce trimestre et les prévisions pour les mois à venir. Le groupe Kering annonce que son chiffre d’affaires sera « en recul de l’ordre de 15 % en données comparables, au premier trimestre de l’exercice 2020 ». Ces estimations rejoignent celles de la Maison Chanel qui évoque une baisse de « plusieurs dizaines de millions d’euros », compte tenu d’une « forte réduction de chiffre d’affaires comprise entre 15 % à 20 % au cours de l’exercice 2020 ». Des résultats financiers qui s’inscrivent également dans la lignée du géant du luxe LVMH qui déclarait « s’attendre à une baisse comprise entre -10 et -20% ». Le 16 avril 2020, le groupe annonce un chiffre d’affaires de 10,6 milliards d’euros sur la période de janvier à mars de cette même année, traduisant une baisse de -15% par rapport à l’exercice 2019. LVMH observe néanmoins une baisse sensiblement différente selon les segments d’activité. La division Mode & Maroquinerie par exemple, est qui enregistre la baisse la plus limitée. Seulement -10% des ventes pendant le confinement qui le groupe explique par une progression rapide des ventes en lignes alors que les magasins étaient fermés. La baisse la plus significative touche l’activité Montres & Joaillerie qui justement est celle qui se prêtait le moins au e-commerce.
Le bilan de ce premier trimestre 2020 est donc mitigé pour l’industrie du luxe. Les résultats correspondent à ceux attendus sous le tumulte de la crise, mais le manque de visibilité sur les mois à venir ne permet pas aux acteurs de se projeter. Le deuxième trimestre débute avec le déconfinement mais la crise engendrée par la pandémie n’annonce pas une reprise rapide de l’activité à la normale.
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« Dans ce contexte inédit, je tiens tout d’abord à remercier nos collaborateurs qui, à travers le monde, se sont mobilisés pour venir en aide aux soignants et participer à l’effort collectif, en fabriquant du gel hydroalcoolique, en permettant d’acheminer ou en produisant des masques ou encore en trouvant des équipements pour les hôpitaux. La santé et la sécurité de nos employés et de nos clients doivent rester notre priorité absolue. A l’échelle mondiale, le Groupe travaille étroitement avec les salariés de chacune de nos Maisons pour leur apporter tout le soutien nécessaire. Grâce à l’engagement de tous, et à la force de ses marques, le groupe LVMH témoigne d’une bonne capacité de résistance face à cette crise qui frappe le monde. Depuis plusieurs semaines, nos équipes démontrent une nouvelle fois que l’excellence, la créativité et la réactivité nous permettront non seulement de surmonter cette crise mais, surtout, d’être encore plus performants lorsqu’elle s’estompera. »